Serey Die clame son innocence
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Mis en cause par son président, l'Ivoirien du FC Sion passe à l'offensive. Scandalisé par le rôle qu'on lui prête, il se défend d'être un tricheur.
Nicolas Jacquier - le 22 mars 2010, 22h50
Le Matin
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Ambiance morose et pesante hier après-midi, à l'entraînement du FC Sion. Alors que ses joueurs viennent pourtant de fêter contre Lucerne leur plus large victoire depuis deux ans, tous sont abattus, le visage défait. Raison de ce coup de déprime collectif: les soupçons pesant sur l'un d'entre eux. Geoffroy Serey Die est-il un tricheur, un joueur acheté comme on l'en accuse? Soupçonné par son président d'avoir peut-être marchandé son expulsion zurichoise mercredi dernier contre GC, le No 14 du FC Sion est-il un complice de la mafia du jeu? L'homme par qui le scandale serait arrivé est venu s'en défendre. Arrivé hier à 15 h 27 à la Porte d'Octodure, l'hôtel de son président à Martigny, le suspect à la Porsche Cayenne noire nie toute implication ou tentative de manipulation. «Je ne suis pas un tricheur. De toute ma carrière, on ne m'a jamais approché ni contacté.» Mise en scène de façon très théâtrale par les dirigeants du club, la conférence de presse du présumé coupable s'est étonnamment limitée en une déclaration de quelques minutes. Les règles du jeu sont établies d'avance, aucune question n'est tolérée. Après son monologue, Geoffroy s'éclipse illico. Les autres joueurs ont l'interdiction de s'exprimer, «dans le but de les protéger», nous prévient-on. On se serait cru revenu au temps de la lointaine URSS. Curieusement, le milieu de terrain, scandalisé par les accusations pesant sur lui, s'était montré beaucoup plus offensif quelques minutes auparavant, dénonçant les soupçons de son président. «Prétendre que j'ai triché est mesquin. C'est une honte de penser qu'un joueur qui se fait expulser trois fois est forcément impliqué dans une pareille affaire! (...) Quand on est payé pour faire quelque chose, on ne le fait pas aussi bêtement.»
Devant une forêt de micros, Serey Die poursuit sa mise au point. «Quand on m'a appris que le match avait peut-être été truqué, j'ai tout de suite pensé que c'était l'arbitre (ndlr: M. Laperrière) qui était visé. Tant il y a eu des décisions bizarres dans ce match...» Impliqué par effet de ricochet, l'arbitre vaudois tombe à son tour des nues et préfère en rire. «Ça n'a aucun sens, nous répondra-t-il plus tard. J'ai la conscience plus que tranquille.» On s'en serait douté.
Hier, le multirécidiviste valaisan en matière de cartons rouge a profité d'être au parloir pour faire son mea-culpa. «En répondant à la provocation de l'adversaire, je n'ai pas été très malin, reconnaît Serey Die. A chaque fois, je fais un geste de trop. Je ne parviens pas à canaliser mon énergie. Quand ça m'arrive, je ne sais plus ce qui se passe. Je veux présenter ici mes excuses à mes coéquipiers et aux supporters, leur dire que je ne fais pas exprès. Je leur demande pardon. Je sais que je ne suis plus crédible. Tout cela me poursuit. Avant même de savoir que j'étais soupçonné, j'ai passé des nuits blanches.» Présent à ses côtés en qualité de coach - et avocat? -, Didier Tholot insiste sur la présomption d'innocence de son joueur. «Ce match, on l'a perdu sportivement. Geoffroy n'est pas écarté. A lui de se battre avec des armes différentes pour regagner la confiance du groupe.»
Si Serey Die n'est pas coupable, qui l'est à sa place? D'autres joueurs ont-ils pu tremper dans la combine s'il s'avère que magouille il y a eu. En agissant de la sorte, CC a-t-il voulu éliminer son encombrant mercenaire ou dispose-t-il de solides éléments pour prouver la véracité de ses griefs? «S'il est innocent, tranche le boss de Tourbillon, le joueur a sa place au FC Sion. Sinon, c'est la fin de sa carrière.»
En attendant les premières conclusions de l'enquête, un fait demeure: sur les sites de paris en ligne, le FC Sion est donné battu à 2,7 demain soir à Aarau, une victoire valaisanne est cotée à 2,4 alors que le nul vaut 3,1. Qui parie quoi?
«Des paris truqués, on en voit partout»
Christian Constantin va vite en besogne. Dimanche, il laissait entendre que le Ministère public de la Confédération (MPC) allait ouvrir une enquête. Dans les faits, rien n'est encore décidé. «Nous avons demandé à M. Constantin de nous transmettre ses constatations par écrit (ndlr: ce qui a été fait hier). Puis nous examinerons si ce dossier est de notre compétence», nous a déclaré hier la porte-parole du MPC, Jeannette Balmer.
Enquête ou non, que penser de cette histoire? Peut-elle être plausible? «Bien sûr, répond le journaliste canadien Declan Hill, auteur du livre «Comment truquer un match de foot?» paru l'an dernier. Depuis cinq ans, des paris truqués, on en voit partout. L'été dernier, il y a eu de la magouille lors d'une compétition regroupant des adolescents danois.»
Mais truquer un match du championnat de Suisse, ça peut rapporter beaucoup d'argent? «Pas forcément. Mais si tu en gagnes un peu ici et un peu là, à la fin, cela représente une somme importante. Je me dis qu'il y a peut-être 150'000 francs joués en tout sur un Grasshopper?-?Sion et que si le score est raisonnable, du style 2-0, il est possible de gagner quatre ou cinq fois sa mise.»
Et combien peut toucher, en Suisse, un joueur corrompu? «Je ne connais pas assez votre championnat pour me prononcer. Mais en Belgique ou en Grèce, un joueur peut recevoir quelque 15'000 francs.» A titre comparatif, en novembre, lorsque le scandale des matches arrangés a éclaté, il se disait que des joueurs de Challenge League (la deuxième division suisse) avaient reçu plus de 20' 000 francs pour se coucher!
Declan Hill ajoute que dans des cas de matches truqués, il est rare qu'un seul joueur soit corrompu. «En Asie, il est possible d'acheter toute une équipe. En Europe, il peut y avoir deux, trois ou quatre joueurs achetés. Il me semble que corrompre un seul élément n'est pas un gage de succès.»
Reste une question: qui sont les corrupteurs? «C'est la question, répond Declan Hill. La plupart des criminels sont basés en Asie et ils ont des contacts avec des Européens. Si les sites de paris en ligne acceptaient de dévoiler l'identité des parieurs - ce qui est très rarement le cas - cela permettrait de se faire plus rapidement une idée des matches qui ont peut-être été truqués.»
Fabiano Citroni
L'homme qui aide son prochain
A 25 ans, Serey Die aime sa famille - il est papa d'une petite Lola de 6 mois -, Dieu et son prochain. En tant que bonne âme charitable (sauf sur un terrain...) et serviteur de l'Eglise, l'imagine-t-on en train de céder à de trop tentantes sollicitudes? «Jamais de la vie, assure ce chrétien engagé. Enfant, j'ai connu la pauvreté, mais je n'ai jamais volé ni été en prison.» Chaque mois, le No 14 de Tourbillon entretient une partie des siens, restés en Afrique, en leur envoyant une part non négligeable de son salaire. Avant d'enrichir sa collection de cartons rouges en Valais, l'Ivoirien avait remporté la Ligue des champions africaine sous le maillot de l'ES Sétif. Depuis juillet 2008, il a posé ses crampons en Valais et sur quelques mollets adverses. «Quand j'entre sur un terrain, c'est pour me défon-cer. Mais jamais pour tuer quelqu'un.» S'il a conscience que ses emportements à répétition sont condamnables («à la place du président, je péterais aussi un câble»), l'homme ne se laisse pas démonter. «Je vais tout faire pour prouver mon inno-cence. D'ailleurs, tout ce qui ne tue pas rend plus fort...» Sur le message enregistré de son portable, une incantation nous attend: «Que Dieu vous bénisse...» N.Jr