Psychose sur le football suisse
By Kaouther
Created 03/28/2010 - 00:19
Footballfootballsuissetruquage
Secrétaire juridique de l'Association suisse de football (ASF), Robert Breiter ne manie pas la langue de bois quand il évoque le nouveau cancer du foot: la mafia des paris truqués et les joueurs corrompus.
«C'est un immense danger. Si le foot apparaît de plus en plus comme un produit pourri, ou si son équité n'est plus garantie, il perdra sa crédibilité. Hier, les cas de corruption étaient simples: un club essayait d'acheter un arbitre ou un joueur. Maintenant, nous avons affaire à la grande criminalité organisée.»
Joueurs mal payés
Concernant le dernier et spectaculaire cas en date, celui du FC Sion, rien n'est sûr: seule une éventuelle enquête du ministère public ou des aveux complets pourront établir si Serey Die voire d'autres joueurs, comme l'insinue le président Christian Constantin, ont cédé à la triche.
En revanche, dès ce lundi, une dizaine de joueurs seront entendus par une commission spéciale de l'ASF. Ils ont été impliqués, à titres divers, dans l'incroyable scandale qu'avait révélé en novembre dernier le Parquet de la Ruhr, quelque 200 matches truqués à travers l'Europe, dont vingt en Suisse. «La plupart ont déjà avoué et ont été limogés par leur club. Les sanctions peuvent aller d'une amende à une suspension à vie», poursuit Robert Breiter.
Ces joueurs évoluaient à Thoune ou à Gossau notamment, et les matches concernés (défaite de Thoune à Yverdon, de Gossau à Locarno) ont des parfums de foot de talus. Cela n'étonne nullement le directeur juridique: «Aujourd'hui, à travers le monde, en Asie surtout, les paris portent sur tout et n'importe quoi. Or tentez de corrompre Messi ou Ronaldo, il vous faudra un sacré carnet de chèques. Les choix se portent surtout sur des matches de deuxième zone: les joueurs sont mal payés et, souvent, aucune image TV n'est susceptible d'étayer d'éventuels soupçons.»
L'automne dernier, des joueurs du FC Le Mont-sur-Lausanne, club de Challenge League, ont fait l'objet d'une tentative de corruption.
C'est Serge Duperret, le président, qui accepte d'en parler pour la première fois: «Quatre de mes joueurs, après un match, ont été accostés par des intermédiaires d'origine des Balkans apparemment. En échange d'une somme de 15 000 à 20 000 euros, ils devaient s'arranger pour que nous perdions contre Thoune et Stade Nyonnais et sur un score bien précis. Ils ont refusé, m'en ont parlé, et c'est tout à leur honneur: ils travaillent tous en dehors du foot et ne gagnent chez nous qu'entre 1500 à 2000 francs.»
Plus incroyable encore: en janvier dernier, le FC Fribourg a limogé un jeune joueur d'origine bosniaque qui avait accepté de l'argent pour truquer un match... amical contre Bienne, remontant à l'été dernier.
Le spectre de la mafia
«Il s'agit d'un étudiant de 20 ans un peu naïf. Après avoir accepté la somme, il a joué tout à fait normalement. Mais il a été rattrapé par l'enquête du ministère public, et encourt une suspension à vie. On n'imagine pas jusqu'où vont les paris», relève Christophe Fragnières, président de Fribourg.
La multiplication de ces cas ne risque-t-elle pas, à terme, de ruiner la crédibilité du foot? Ne verra-t-on pas bientôt la main de la mafia derrière chaque penalty raté, chaque passe aléatoire?
22 000 euros pour perdre
Serge Duperret avoue qu'il ne regarde plus les matches de la même façon: «Avant, quand un stopper commettait une boulette, je mettais cela sur le compte de la maladresse, maintenant j'imagine tout de suite autre chose.»
En avril dernier, dans un match sans importance, des joueurs de Thoune auraient touché 22 000 euros pour s'incliner face à Yverdon par quatre buts d'écart. Il y a eu 5-1.
En vieux de la veille, Paul André Cornu, président d'Yverdon, en est à peine étonné. «Plus rien ne me surprend. Il règne aujourd'hui une sorte d'omerta dans le milieu. Par écrit, nous avons exigé que nos joueurs s'engagent à ne jamais tomber dans ces travers.»
Et les joueurs? Leur arrive-t-il, à eux aussi, d'avoir des soupçons, y compris sur leurs propres coéquipiers? «Franchement, jusqu'ici, on en a peu parlé entre nous, glisse Lionel Pizzinat, capitaine de Servette. Pourtant, après coup, il m'est arrivé d'avoir des soupçons sur certains matches. On avait par exemple battu très facilement le club de 1re division bosniaque de Travnik. Or il a été impliqué par la suite.»
Tibère Pont, son coéquipier, fils de Michel, clame son indignation: «Les joueurs qui acceptent cela doivent être punis très sévèrement. Ce trafic peut détruire l'image du foot. Moi, je veux pouvoir me regarder dans le miroir.»
Aucun arbitre suisse, jusqu'ici, n'a été soupçonné, ce qui réjouit Francesco Bianchi, président de la commission: «Selon un code d'honneur, tous nos membres s'engagent à dénoncer immédiatement toute sollicitation de la part d'un tiers. Sur le terrain, on continue à faire notre boulot, c'est tout. Si au moindre penalty raté vous vous dites: «Il l'a fait exprès», ce n'est plus possible.»
Des logiciels de l'UEFA sont aujourd'hui capables de pointer tout flux d'argent douteux sur plus de 29 000 matches. Toutes les organisations policières de l'espace Schengen sont mobilisées autour de cette nouvelle tricherie tentaculaire.
--------------------------------------------------------------------------------
Source URL:
http://www.lematin.ch/sports/football/p ... sse-255420