Pour rappel un petit article publié en 2009 après Sion-Xamax. Intéressant et effectivemement Sion-Lausanne n'est pas un derby n'en déplaise aux lausannoises.
Les authentiques derbys supposent une proximité en même temps qu’un fort antagonisme presque rituel, ce qui est loin d’être le cas de l’affiche romande d’hier à Tourbillon. Enquête sur un phénomène pas extensible
Le derby est un cri qui résonne aux oreilles des amateurs de football comme la plus belle des promesses. Il porte en lui les passions d’une rivalité originelle, nourrie de proximité et d’antagonismes exacerbés. Hier à Istanbul, le derby du Bosphore entre Galatasaray l’européenne et Fenerbahçe l’asiatique a forcément déchaîné les passions. Pendant ce temps, aux abords du stade de Tourbillon, la seule électricité présente dans l’air provenait des fours à raclette. Depuis que Neuchâtel Xamax et le FC Sion se partagent seuls la vitrine du football romand, leurs oppositions sont décortiquées comme autant de luttes pour la suprématie régionale. Une attention particulière qui, hormis quelques querelles d’ultras, peine à faire basculer leurs retrouvailles dans l’irrationnel. Décryptage d’une rivalité qui n’en est pas (encore) une.
A quoi sert de conquérir le monde si l’on ne vient pas à bout de son voisin? L’adage sent bon la querelle de clocher. Il renvoie aux origines du mot derby, lorsqu’au XIIe siècle, les habitants d’une bourgade du Derbyshire se rencontraient une fois l’an dans un joyeux mélange de ce que seront football, rugby et boxe. La rivière coupait la ville en deux, les rues devenaient terrains de jeu. «On trouve dans l’essence du derby une forme de rivalité mimétique», explique Denis Müller, professeur d’éthique et penseur du football. «Un combat fratricide entre deux équipes de même valeur partageant le même territoire.» Aujourd’hui, de Glasgow à Buenos Aires, l’enceinte sacralisée du stade a remplacé la rue. Ce qui n’empêche pas les grands derbys modernes de contaminer l’ensemble du territoire commun – souvent une ville, parfois une région – au point de lui imposer son déchirement partisan.
La Suisse romande a-t-elle plié hier après-midi sous le poids de ce Sion-Xamax? Poser la question revient à questionner le bien-fondé de l’expression «derby romand». «L’appellation épouse clairement les circonstances», prévient Jean-Jacques Tillmann. «Elle est entrée dans les mœurs journalistiques et promet quelques spectateurs de plus. Mais, vu l’éloignement géographique des deux villes, c’est une formule par extension qui, je crois, n’agite pas les gens.» L’ancienne voix du football de la TSR convoque alors les souvenirs des historiques «derbys lémaniques» entre Servette et Lausanne. «En 1961, Lausanne-Sports s’imposa 4-0 dans une Pontaise bondée. L’image du gendarme Mottaz, seul sur la pelouse, endiguant la foule pour permettre le coup d’envoi, est un instantané qui illustre la ferveur que suscitaient ces rencontres hors norme.»
Au-delà des évocations nostalgiques, les quelque 150 km qui séparent le littoral neuchâtelois de Valère sont-ils l’unique antidote à la folie d’un derby Xamax-Sion? «Les deux cités sont des villes d’égales importances, capitales de province fières d’être les seules à tenir un rang que Lausanne et Genève ont abandonné», décrit Denis Müller. «Il y a donc de l’excitation autour d’une hégémonie symbolique. Mais aussi une forme de solidarité car la qualité du match peut permettre au football romand de rivaliser avec le grand frère alémanique.» Le contre-pied interpelle. L’opposition, attendue viscérale et irréversible, se transforme, faute d’antagonismes lourds, en une cohabitation teintée de respect mutuel.
Sébastien Zambaz, ancien joueur des deux clubs, résume l’impression d’une formule efficace. «Sion-Xamax, c’est un derby sans rivalité, à la bonne franquette. Contrairement aux Sion-Servette de l’époque qui tournaient à la guerre des nerfs, il y a toujours eu entre les deux clubs l’idée de proposer un bon match, l’envie d’en faire une fête du foot.» Une forme presque inconsciente de fraternité que l’entraîneur du CS Romontois attribue aux figures tutélaires des deux clubs. «L’essor de Xamax est automatiquement associé à Gilbert Facchinetti, celui de Sion à André Luisier. Ces deux hommes sont des emblèmes, ils partageaient la même vision du football. Même si le management a évolué et que la ferveur est plus importante en Valais qu’à Neuchâtel, je pense que les supporters des deux clubs ont un héritage commun, directement lié à la personnalité de ces deux présidents.»
Faute d’une proximité étouffante et d’insurmontables antagonismes, Sion et Xamax semblent condamnés à s’observer de loin. Comme deux cousins dont la présence réciproque allège l’atmosphère des fêtes de famille. A moins que l’excellence ne s’en mêle. Fribourg Gottéron et Genève-Servette se toisaient eux aussi à distance, avant qu’une demi-finale de play-off ne scelle les inimitiés. Au vu du spectacle proposé hier sur la pelouse de Tourbillon, rien ne semble cependant indiquer que le seul «derby romand» puisse gagner du corps en s’offrant une dimension nationale (lire ci-dessous).
Point de folie ou de supplément d’âme. A peine une agressivité exacerbée (dix cartons jaunes, un rouge) dictée davantage par le souci du labeur que par l’intensité des retrouvailles. Ni une fête du football, ni un derby à la bonne franquette.
[Le Temps 2009]