Pourquoi Constantin est le meilleur au mercato
Il a fasciné Essam El-Hadary, impressionné Gennaro Gattuso et intéressé Alessandro Del Piero. Christian Constantin est le président suisse le plus séduisant sur le marché des transferts. Comment fait-il?
«Cher Christian, tu as certainement compris que ce n’était pas un moment facile pour moi. Durant ces derniers mois, j’ai rencontré de nombreux dirigeants de clubs (…). Je suis très heureux de t’avoir connu, car tu es vraiment une belle personne. Tu mérites le meilleur. Je suis désormais un supporter du FC Sion. Hélas, nous avons eu peu de temps, mais j’espère que nos routes se croiseront dans le futur, et qui sait ce qui pourrait arriver… Je t’embrasse. Avec mon amitié, à très vite. Alessandro»
Nous sommes vendredi matin et le portable de Christian Constantin vient de sonner. Le patron du FC Sion lit le SMS envoyé par Alessandro Del Piero et comprend rapidement que le joueur ne viendra pas en Valais. «Il a failli accepter», souffle CC, qui a passé la semaine entre Martigny et Turin, où il a notamment rencontré le joueur durant plus de deux heures, mercredi soir. Une rencontre qui aura visiblement marqué Alessandro Del Piero. Elle n’a pas permis de conclure la transaction, mais elle donne une idée des qualités déployées par Constantin sur le marché très concurrentiel des transferts. Il y a quelques semaines, le dirigeant valaisan tirait d’ailleurs avantage de son envergure en engageant Gennaro Gattuso, inscrit depuis au patrimoine cantonal. C’est la dernière transaction miraculeuse d’un président qui aime follement séduire les vedettes.
En 2008, Essam el-Hadary débarque dans les sous-sols de la Porte d’Octodure. Le portier égyptien vient de fuir son pays. Il est haï par une nation entière, qui préfère le voir en Enfer plutôt qu’en Valais, et qui souhaite lui retirer sa nationalité. Il semble totalement dépassé par les événements et n’exprime pas la moindre émotion lors de son arrivée. Mais, après trois minutes de conférence de presse, il se fend d’une tape amicale dans le dos de son nouveau président. Interrogé aujourd’hui sur cette marque de familiarité, Christian Constantin rappelle que ceux qui le connaissent le trouvent «assez bonnard». Il poursuit: «A la fin, j’étais tellement pote avec Essam qu’il préférait s’entraîner avec moi plutôt qu’avec Marco Pascolo.»CC ne parle pourtant pas un mot d’arabe. «Il ne parle même pas français», pouffe Paolo Urfer, ancien directeur sportif de Tourbillon. Comment, dès lors, expliquer tant de camaraderie?
«Il me connaissait par cœur»
La complicité qui unit la recrue à son employeur est travaillée lors de l’entretien d’embauche. «Déjà, il claque la bise au joueur, rapporte Urfer. Il est immédiatement dans la proximité. Si c’est un jeune, il se renseigne sur le métier des parents. Il prépare ses rendez-vous. Tous, toujours.» Frédéric Meyrieu se souvient de sa première rencontre avec Constantin, en 1997: «Il me connaissait par cœur, c’était impressionnant. Il me parlait de mes buts avec Lens, et même de mes actions. J’avais l’impression qu’il avait regardé tous mes matches. C’était très flatteur.»
Une fois le climat bon enfant instauré, la première arme de séduction de CC est le discours, qu’il veut passionné. «Il te parle comme un directeur sportif, livre Bastien Geiger, engagé en 2007. Certains présidents se comportent comme des chefs d’entreprise. Christian est différent. C’est un véritable amoureux du jeu.» Mercredi soir, le président a «parlé tactique durant plus d’une heure avec Del Piero, raconte l’agent Gaetano Marotta. Il lui a expliqué comment fonctionne le système de Sébastien Fournier. Alessandro a été rassuré. Il a immédiatement compris que son interlocuteur connaissait très bien le football.»
Du Tapie et du Courbis
«Utiliser un langage commun est un formidable avantage», considère Constantin, qui n’a peur de rien: Del Piero a été entraîné par les plus grands au cours de sa longue carrière (Sacchi, Trapattoni, Lippi, Capello, etc.), il a remporté la Coupe du monde et la Ligue des champions, notamment. «Mercredi, je lui ai dit dans quelle position il est le plus efficace», rapporte CC.
Cette approche authentique et passionnée lui permet de surprendre, estime Paolo Urfer. «Les grands joueurs ne sont pas forcément habitués à des présidents comme Christian, qui parlent rarement d’argent. En fait, il parle de tout et de rien, et surtout pas d’argent, car c’est son point faible. Il sait très bien qu’il ne peut pas rivaliser avec les grosses écuries européennes, alors il joue la fibre émotionnelle. Il peut très bien laisser un DVD des douze finales de Coupe au gars qu’il veut dans son équipe; il vendra le Valais en disant que c’est Marseille, Naples ou la Corse, et il lui dira: «Chez nous, tu seras heureux. De l’argent, tu en as déjà assez gagné.» Christian, il vend son club comme personne.»
«Quand j’ai débarqué dans son bureau après Noël, j’ai vu le poster de la première équipe, se souvient Meyrieu. Une quinzaine de mecs avait disparu depuis le début de saison. Je me suis demandé où j’avais atterri. Mais Constantin était sûr de lui. Il m’a dit: «Je te prends car je veux être champion». Avec tous les nouveaux joueurs, c’était presque irréalisable. Mais il a su trouver les mots pour me motiver, et nous avons réussi le doublé. En fait, c’est un marchand de rêves. Il parle beaucoup, il amadoue les joueurs et les agents. Il y a chez lui un peu de Tapie, et un peu de Courbis. D’ailleurs, j’avais rejoint Courbis à Toulon quelques années plus tôt, mais je n’y serais jamais allé pour un autre entraîneur que lui.»
La Riviera comme vitrine
Au FC Sion, la magie des mots opère, et tant pis si le client est trompé sur la marchandise. «On avait une technique, reprend Urfer. On n’amenait pas les joueurs en Valais mais sur la Riviera. Quand ils découvraient Vevey ou Montreux, ils tombaient à la renverse. T’as vu le cadre? C’est une véritable carte postale de la Suisse.» «Les joueurs du FC Sion doivent s’établir dans un rayon de 40 km autour de Martigny, rappelle Constantin. Et Montreux est dans cette zone.» En fait, ce n’est pas totalement exact, puisque le site de référence Viamichelin calcule 42 km entre les deux villes – et 8 de plus pour Vevey.
Mais les détails ne résistent pas au charisme de l’entrepreneur, selon Alexandre Zen-Ruffinen, ardent défenseur du club. «Il fait effet sur tout le monde. Il a impressionné Gattuso, qui s’est attaché lors de leur première rencontre, entre l’entrée et le dessert (…). Parfois, quand une affaire est un peu compliquée, j’appelle Christian. Soudain, tout devient plus simple.» «CC est rassurant, protecteur voire paternaliste, confie Urfer. Si tu le mets dans les bureaux du PSG, il te fera tous les bons coups du marché. Il a un meilleur argumentaire que les dirigeants parisiens, je n’ai pas peur de le dire.» Marco Degennaro, directeur sportif: «Il est charmant. Il a de l’allure.» «Il drague les recrues comme il drague les femmes», ose Gaetano Marotta. «Le cœur d’un homme est au même endroit que celui d’une femme», répond Constantin.
«Le Bolt des transferts»
Le discours et la gestuelle facilitent les relations, disent les gens biens accompagnés. «Sa grande force, ce sont ses contacts», estime Marotta. «Il connaît suffisamment de monde pour pouvoir rencontrer qui il veut, même Messi», selon Degennaro. CC esquive, indifférent: «Je connais des gens sur la planète…» Pour John Dario, agent de joueurs, la qualité de ses contacts serait plus importante que le nombre. «Il est en permanence connecté avec ses informateurs. Il ne travaille pas seulement durant le mercato. C’est pour cela qu’il a des infos avant les autres.»
Quand NE Xamax fait faillite, il est le premier à approcher Vullnet Basha, Sébastien Wüthrich et Geoffrey Tréand. Il rejoint rapidement ses recrues potentielles grâce au jet privé qu’il possède. Est-ce un atout sur le marché des transferts, où le temps est compté? «Non, coupe-t-il. Des avions, il y en a assez dans le ciel pour tous les présidents du monde.» «C’est vrai, mais tout de même: quand tu vois le patron descendre de son jet, ça impressionne», lance Paolo Urfer.
Le zinc est la marque visible de ses ambitions immédiates. «Quand Christian veut un joueur, cela va assez vite. Avec lui, c’est oui ou non. Il ne perd pas de temps», livre Christophe Graf, agent de Stefan Glarner. «C’est le Bolt des transferts, estime John Dario, agent de joueurs. Quand il a fait venir Alberto Bigon en 2007, tout est allé très vite. Il lui a parlé au téléphone et, deux heures plus tard, son avion décollait pour Padoue. Il est allé le chercher à son domicile.»
Paolo Urfer voit dans la politique de recrutement sédunoise un aspect «un peu méridional», qui n’a «rien à voir avec la frilosité des autres clubs helvétiques, qui évoquent toujours le budget, ceci ou cela». Sur le plan financier, «Constantin n’a besoin de personne, rappelle John Dario. Il gagne un temps énorme. Il ne doit pas récolter des fonds pour acheter un joueur, ni en référer au comité. Au FC Sion, le comité c’est lui, et lui seul.»
Un cinglé? Pas vraiment
L’activité permanente du dirigeant sédunois sur le marché des transferts n’a pu être réprimée par l’interdiction de la FIFA et de l’UEFA. Les conflits juridiques qui en ont procédé auraient pu affaiblir la position de Constantin dans le microcosme footballistique. Ils lui ont au contraire donné une nouvelle dimension, celle d’un justicier solitaire qui tient tête aux plus puissants.
«Au fil des procédures de la saison dernière, il s’est fait de la publicité, pense Urfer. C’était le chef du village gaulois contre les envahisseurs. Le magazine britannique Worldsoccer lui a décerné le titre de président le plus fou d’Europe. Désormais, avant de le rencontrer, les joueurs se disent qu’ils vont tomber sur un cinglé. Mais ils sont surpris, car il y a un énorme décalage entre la réputation du bonhomme et la vérité.» (Le Matin)
http://www.lematin.ch/sports/football/c ... y/11694945